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Mikado

(PR) – « Jeu d’adresse d’inspiration japonaise, voisin du jonchet », nous dit le Robert qui précise d’abord que la signification première de ce mot est « l’empereur du Japon ». Après avoir rendu au Mikado ce qui est au Mikado, vous pourriez me demander pourquoi ce « jeu d’adresse » mérite que j’essaie de lui consacrer une chronique cette semaine. A cette « bonne question que je vous remercie de m’avoir posée » comme disent les hommes politiques, je vais essayer de répondre…


   Peut-être faut-il revenir au tout début, le « jonchet ».  Notre ami Antoine Furetière a sa propre définition, il s’agit de « Petits bastons menus dont on fait une sorte de jeu dont Ovide fait mention. Ce mot vient de ce qu'on y joüoit autrefois avec de petits brins de jonc, & depuis on s'est servi de petits brins de paille, & maintenant d'yvoire. »

   Pour les plus jeunes de mes lectrices et  lecteurs, je précise ne pas avoir connu le « jonchet », mais par contre le « mikado », à l’époque où il n’y avait pas de console pour jeux vidéo. Le principe était simple : une quarantaine de baguettes d’une vingtaine de centimètres de long, avec des cercles de couleurs différentes, donc de valeurs différentes ; on jetait le tout sur la table, il fallait retirer les baguettes une à une sans faire bouger le fragile édifice, sinon on passait un tour. Le gagnant était celui qui accumulait le plus de baguettes…

   Mais, alors, pourquoi s’intéresser comme cela au « mikado » ? C’est en lisant dans « Le Monde » un article d’un mien confrère dont la réputation n’est plus à faire : Alain Frachon, fort de quelques dizaines d’années d’observations diplomatiques, analysait la politique que mène M. Xi Jinping, qui n’est pas un « mikado », empereur au sens japonais du terme, mais un « empereur rouge » régnant sur plus d’un milliard de Chinois. Il pratique, estime Alain Frachon, une politique de « grand équilibrisme » qui s’apparente au jeu subtil du « mikado »

   Cela s’est vérifié, notamment, lors de la récente visite à Pékin de Vladimir Poutine : il fallait à M. Xi apporter un soutien indéfectible à son « grand ami », mais, en retirant cette baguette, ne pas faire chuter celle des relations avec les Occidentaux – commerce oblige. La baguette américaine n’était pas évidente, elle non plus, à retirer du paquet, tout en gardant celle de Taïwan prête à être sortie du tas. En bon Chinois imprégné de Lao Tseu, M. Xi a réussi jusqu’à présent à maintenir le jeu en équilibre…

   Il y a d’autres dirigeants de ce monde qui doivent eux aussi jouer au « mikado » politique. Prenons Joe Biden confronté au drôle de tas de baguettes que représente le Proche-Orient. Le président américain essaie de retirer la baguette d’un gros reproche fait à Benjamin Netanyahu pour sa politique de répression à Gaza afin d’essayer de calmer la colère de certains démocrates et de ne pas trop déstabiliser la baguette de ses chances à l’élection du 7 novembre pour laquelle Donald Trump ne se gênera pas de renverser le jeu…

   Autre exemple à la fois plus proche et plus lointain, celui d’Emmanuel Macron et de la Nouvelle-Calédonie : il a fait quelques dizaines d’heures de vol pour essayer de retirer la baguette des émeutes qui secouent le « caillou ». Son avion n’a pas eu de turbulences comme on en voit en ce moment, mais rien ne dit que le paquet de baguettes va rester stable !

   J’ai eu la chance de voir le vrai « Mikado », Akihito, 125e empereur du Japon, lors de sa visite en Suisse en 2000. Pour avoir participé aux négociations avec les représentants de la Maison impériale pour son arrivée à l’aéroport de Genève, je confirme que les Japonais sont vraiment les maîtres du « mikado ». A chaque problème envisagé, Ils ont retiré la baguette sans rien faire bouger, et avec le sourire…

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