Jacquerie
(PR) – « Révolte paysanne », nous dit le Robert à propos d’un mouvement qui agite – c’est le moins que l’on puisse dire – la France, mais qui a eu également des précédents ces dernières semaines en Allemagne, aux Pays-Bas. Pour l’instant, cette « révolte paysanne » est plus spectaculaire dans l’Hexagone, cela ne surprendra personne. Il faut dire que ce terme vient d’une première « révolte paysanne » ayant eu lieu au quatorzième siècle. Mais alors pourquoi ce nom ? J’ai essayé de trouver la réponse…
Le mieux, pour cela, était de le demander à Antoine Furetière, donc de consulter son « Dictionnaire universel » de 1690. Pour lui, une « jacquerie », « en termes d’Histoire, est le nom qu’on a donné à une faction qui s'esleva en France vers Beauvais en l'an 1358. du nom de leur Capitaine qui s'appelloit Jacques Bonhomme. »
Plus de trois siècles après la définition de l’ami Furetière, on peut expliquer un peu mieux pourquoi et comment cette révolte populaire a pris le nom de « jacquerie ». Comme dans les contes pour enfant, on commence par : « il était une fois… » dans un petit village de ce qui est actuellement le département de l’Oise, Saint-Leu d’Esserent, des paysans, les « vilains » comme on disait alors, qui se révoltèrent en 1358 contre (devinez) les taxes qui avaient augmenté parce que le royaume était en guerre – c’était celle dont on ne savait pas qu’elle allait durer cent ans…
Le meneur de cette première « jacquerie » s’appelait… Jacques Bonhomme ! Les émeutiers n’étaient pas si « bonhommes » que cela, car, « en cette même année 1358, en été, les paysans qui habitaient autour de Saint-Leu-d'Esserent, voyant les maux et les oppressions qui, de toute part, leur étaient infligés sans que leurs seigneurs les en protègent — au contraire ils s'en prenaient à eux comme s'ils étaient leurs ennemis — se révoltèrent contre les nobles de France et prirent les armes », selon le chroniqueur Jehan Froissart
Cette « jacquerie » fut vite réprimée, mais elle allait faire des « petits » tout au long des siècles suivants. Le monde rural se révolta régulièrement contre (c’est une constante) la hausse des impôts. Dans tous les pays européens, il fallait bien amener de l’argent dans les caisses des royaumes ou principautés pour… faire la guerre ! Les révoltes furent de tout genre ; par exemple, dans le Boulonnais, au dix-septième siècle, une de ces « jacqueries », fut la « révolte des Lustucru » - pas question de pâtes, mais simplement du « l’eusses-tu-cru ?» adressé aux nobles…
Le vingtième siècle a connu, en France notamment, de grands soulèvements dans les milieux agricoles. En 1907, les vignerons du Languedoc et du Roussillon se mobilisèrent déjà contre… l’importation de vins étrangers ! Il n’y avait pas de CRS à l’époque, le gouvernement envoya l’armée, mais les soldats du 17e régiment d’infanterie se mutinèrent, mirent la crosse en l’air pour ne pas tirer sur les manifestants…
Plus près de nous, en 1999, une « jacquerie » un peu spéciale eut lieu à Millau – charmante ville depuis surtout célèbre pour son magnifique viaduc – lorsqu’un agriculteur des causses cévenols s’en fut démonter un « McDo » pour protester contre la « malbouffe » que la firme américaine imposait au détriment de l’agriculture française ! José Bové y gagna une célébrité digne de Jacques Bonhomme, sans, heureusement, qu’il y eut à déplorer d’autres victimes que les installations du restaurant « fast food ».
Jusqu’où ira la « jacquerie » de 2024 ? Bien malin qui pourrait le savoir, mais les exigences exprimées montrent une détermination laissant penser que la moindre bavure pourrait provoquer des conséquences dramatiques. Les jeunes agriculteurs avaient pourtant commencé avec humour la contestation : pour signifier que, selon eux, « on marche sur la tête », ils avaient retourné les panneaux d’entrée des villages…